Les risques technologiques, le cas de l accident de Bhopal

Introduction

L’occurrence de catastrophes d’origines naturelles comme les séismes d’Izmit (Turquie, 1999), Bham (Iran, 2003), le cyclone Katerina (Etats-Unis d’Amérique, 2005) ou encore les tsunamis (Asie du sud-est, 2004) démontre bien l’exposition et la fragilité de nos sociétés face à ces événements majeurs. Par ailleurs, les activités anthropiques liées à la production de biens et d’énergie sont sources d’atteinte chronique à l’environnement (réchauffement climatique lié aux émissions de dioxyde de carbone, par exemple) d’une part et à l’origine d’accidents technologiques majeurs d’autre part. Si des catastrophes comme celle d’AZF à Toulouse (France, 2001) ont une gravité moins importante en termes de nombre de victimes comparativement à celles d’origine naturelle listées précédemment, elles n’en demeurent pas moins préoccupantes. Les accidents technologiques, tout comme ceux liés aux transports, semblent de plus en plus fréquents. Enfin, le développement de l’informatique et des réseaux de communication et d’information conduit à exposer nos sociétés à de nouveaux dangers (piratages informatiques).

L’amélioration globale du niveau de vie des populations dans les pays dits riches conduit les sociétés à refuser de plus en plus le risque et à exiger un niveau de sécurité en constante augmentation. Des situations considérées comme dangereuses aujourd’hui ne l’étaient pas forcément dans le passé où de nombreux dangers (sécheresse, froid, famine, épidémie) étaient perçues comme des calamitésL’archipel du danger. Par ailleurs, ces situations ne sont pas perçues de façon identiques suivant les sociétés considérées. Un risque peut être considéré comme inacceptable par la population dans nos sociétés occidentales alors qu’il sera toléré par la population d’un pays en voie de développement où dans bien des cas la lutte pour la vie est encore la règle qui prévaut.

Doit-on déduire de ces premiers constats que nos sociétés sont exposées à des dangers de plus en plus fréquents ou de plus en plus graves et qu’elles sont de plus en plus vulnérables ?

1. Un cas d’école

L’exemple de la catastrophe de Bhopal en Inde (2 et 3 décembre 1984) illustre bien cette complexité. Cet accident s’est déroulé dans une usine qui produisait des pesticides. Il a eu des conséquences catastrophiques sur la population, avec plus de 3800 morts et 360000 victimes à des degrés divers, et sur l’environnement. A ces conséquences directes, s’ajoute une pollution chronique qui n’est à ce jour pas réglée.

En effet, des produits chimiques toxiques polluent le sol et la nappe phréatique car les vestiges du site n’ont pas été dépollués suite à l’accident.

2. Le jour de l’accident

Un dysfonctionnement organisationnel a conduit des opérateurs à injecter accidentellement de l’eau dans un réacteur contenant du méthyl-isocyanate qui est un produit très toxique et réagissant avec l’eau (réaction violente, dite réaction d’hydrolyse exothermique). Des dysfonctionnements techniques sont à l’origine du non fonctionnement des systèmes redondants prévus pour la capture et la neutralisation du méthyl-isocyanate en sortie du réacteur, en cas d’accident. En fait, ces systèmes étaient inopérants à cause d’un problème de maintenance (dysfonctionnement organisationnel). Des dysfonctionnements techniques (alarmes et capteurs défaillants) et humains (problème de communication et de culture) ont conduit à différer l’alerte. Les conditions liées à l’environnement ont eu un effet aggravant : en absence de vent cette nuit là, le nuage de gaz toxique a stagné sur la ville.

La population des bidonvilles situés à proximité du site (dysfonctionnement réglementaire qui a conduit à une urbanisation dense en périphérie immédiate du site) est alertée tardivement. Les services de secours n’ont pas la capacité d’intervention suffisante pour porter secours et évacuer la population (dysfonctionnement organisationnel - manque de prévision).

Ce sont souvent ces seuls faits qui sont relevés pour expliquer l’accident de Bhopal.

3. Des mois et des années avant l’accident

Prendre un peu de recul par rapport aux causes directes permet de trouver des causes plus profondes. Le contexte économique du groupe propriétaire du site industriel était peu favorable au moment de l’accident, avec des difficultés rencontrées dans la vente des biens produits. Les stocks étaient par conséquent à saturation. La sphère de stockage prévue pour une vidange d’urgence était employée pour faire face à ce problème de stockage des matières premières. Cette sphère aurait pourtant permis une vidange partielle du réacteur lors de l’accident. Ces difficultés d’ordre économique avaient conduit le groupe propriétaire du site à diminuer son activité et à muter certains des cadres confirmés qui y travaillaient. La main d’œuvre employée au moment de l’accident était donc mal formée et les moyens de communication inadaptés. Les ouvriers ne lisaient que l’hindi et les consignes et documents étaient rédigés en anglais (dysfonctionnement d’ordre social et organisationnel).

Pour connaître des causes encore plus profondes, il faut remonter plus encore le temps et s’intéresser à la création du site industriel dans les années 1970. A cette époque, l’installation de groupes industriels étrangers en Inde était fortement encouragée par le gouvernement indien. Les débouchés importants en termes de marché étaient attractifs pour le groupe industriel. Cette implantation était possible sur l’aspect réglementaire, mais il fallait absolument tenir compte d’un contexte social et politique régional particulier, ce qui n’a pas été fait à l’époque. C’est un dysfonctionnement d’ordre stratégique et politique pour le groupe industriel.

4. Un accident complexe mais également un accident prévisible

L’analyse des causes de cet accident démontre clairement qu’un accident n’est rarement le fait d’une seule cause. De nombreux dysfonctionnements dont les origines sont de natures différentes se couplent pour déclencher un scénario événementiel générateur d’accident avec des conséquences qui peuvent se révéler catastrophiques. Dans le cas de Bhopal, il est évident que l’ensemble des dysfonctionnements relevés avant l’accident témoignaient d’une situation pré-accidentelle chronique : il devenait difficile voire impossible d’éviter un accident majeur.

Crédits: Jean-François BRILHAC, professeur à l’Université de Haute-Alsace
 
Référence bibliographique

G.Y. KERVERN, P. RUBISE. L’archipel du danger. Economica, 1991 .