Que connaît on de la biodiversité ? De la qualité scientifique de la connaissance aux enjeux sociaux, économiques et politiques de ses usages dans la gestion de la biodiversité

La diversité du vivant connaît aujourd’hui une telle érosion, qu’on parle souvent de la « sixième extinction », par référence aux cinq crises majeures d’extinction recensées par les paléontologues au cours des 600 millions d’années écoulées. Sous l’influence de l’homme, le taux de disparition des espèces a atteint un rythme bien supérieur au taux naturel. Il pourrait aller dans le futur jusqu’à 50% des espèces animales et végétales existantes aujourd’hui.

L’évaluation de cette perte est un défi, car la biodiversité reste pour l’essentiel inconnue de la science. Selon Michel Moreau, on ne sait même pas si la Terre abrite 5 ou 30 millions d’espèces, et celles-ci pourraient disparaître plus rapidement que l’homme les découvre. Il n’est pas possible, aujourd’hui, d’anticiper les évolutions de la biodiversité ou ses réponses aux changements induits par l’homme, à l’échelle planétaire. Ainsi, l’amélioration de la connaissance scientifique de la biodiversité représente un élément important, mais qui est potentiellement réalisable à long terme. Toutefois, la complexité des systèmes écologiques et leur dynamique à des échelles de temps et d’espace différentes de l’échelle humaine laissent penser qu’une connaissance fine de la biodiversité dans son ensemble ne sera sûrement pas disponible prochainement. Néanmoins, les mesures de protection concernent le présent.

Pour l’application nécessaire du principe de précaution, l’enjeu le plus important aujourd’hui est la structuration de la connaissance scientifique déjà disponible, ainsi qu’elle puisse être utilisée de mieux dans les processus de gestion de la biodiversité. Pour prendre l’exemple de la France, le savoir scientifique concernant la biodiversité est éclaté entre le Muséum National d’Histoire Naturelle, qui joue un rôle central, et plusieurs organismes (universités, conservatoires nationaux botaniques, Offices Nationaux de la Chasse et de la Faune Sauvage, équipes des parcs nationaux et régionaux, associations naturalistes). Cette connaissance, pourtant riche, est mal structurée et mal utilisée dans la prise des décisions. Par ailleurs, les sciences humaines (sociologie, économie) manquent souvent du paysage des sciences appelées à contribuer à la connaissance de la biodiversité.

Devant le constat scientifique de la perte significative de biodiversité, le consensus sur les mesures à prendre est loin d’être atteint parmi les acteurs concernés. La science est directement impliquée dans le cadrage des politiques concernant la biodiversité. Elle n’échappe pas au processus de débat social sur les objectifs de protection, les moyens, les échelles de temps, le partage des gains, des pertes et des responsabilités… On constate ainsi l’apparition de « plusieurs sciences », distinguées selon les acteurs qui encadrent, institutionnellement et financièrement, la production de la connaissance (gouvernements, compagnies privées, ONG). Le débat social peut ainsi se refléter à l’intérieur de la communauté scientifique.

Cela n’équivaut pas à dire que la science ne peut plus contribuer à la prise des décisions. Mais l’influence sociétale sur le processus de création du savoir scientifique doit être prise en considération. Ainsi par exemple, il a été observé que des pressions de la part des acteurs peuvent conduire à passer une espèce dans une catégorie réglementaire ou une autre, sans grand rapport avec les données scientifiques Pour la biodiversité. Ceci nous amène à souligner un deuxième élément essentiel pour l’utilisation de la science dans la prise des décisions : la qualité de la connaissance.

Des outils d’évaluation de la qualité de la connaissance sont actuellement en cours de développement. Leur objectif est de s’assurer que la prise des décisions se fait sur la base de la « meilleure » connaissance scientifique disponible.

Sources de variabilité dans les descriptions de la biodiversité

Crédits: Jean-Marc DOUGUET

Afin de préciser le statut de la qualité de la preuve scientifique, à l’intérieur de la communauté scientifique et dans la société, on utilise le concept d’incertitude. Ce terme a été défini de manière générale comme « toute déviation de l’idéal irréalisable d’une connaissance entièrement déterministe du système relevant » Defining uncertainty. A conceptual basis for uncertainty management in model-based decision support. Sur la base des considérations précédentes, il est nécessaire de faire la différence entre deux types d’incertitude L’incertitude : cause ou effet des débats entre les acteurs ? Analyse de cas du risque pour les abeilles de l’insecticide Gaucho® :

Crédits:
Jean-Marc DOUGUET, chercheur à l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines
Laura MAXIM, doctorante au C3ED, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines
Martin O'CONNOR, Professeur en sciences économiques à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines
 
Référence bibliographique

Pipien, G.. Pour la biodiversité. Manifeste pour une politique rénovée du patrimoine naturel. A.Venir Editions, 2005.

Référence bibliographique

Walker, W.E, Harremoës, P., Rotmans, J., van der Sluijs, J.P., van Asselt, M.B.A., Janssen, P., Krayer von Krauss, M.P.. Defining uncertainty. A conceptual basis for uncertainty management in model-based decision support. Integrated Assessment, 2003, 1, n°4, 5-17.

Référence bibliographique

Maxim, L. et van der Sluijs, J. L’incertitude : cause ou effet des débats entre les acteurs ? Analyse de cas du risque pour les abeilles de l’insecticide Gaucho®. Incertitude et environnement. EDISUD, 2006. coll. Ecologie Humaine.