Incertitudes et controverses scientifiques dans la société de la connaissance

La recherche d'une argumentation scientifique à l'appui des décisions publiques n'est pas récente. Le développement de matériaux innovants ou de nouvelles substances, la mise au point de nouveaux procédés et parfois plus généralement l'activité humaine, en plus des bénéfices potentiels, s'accompagnent de retombées potentiellement néfastes pour l'homme (conséquences sanitaires) ou pour son environnement. Les choix scientifiques et technologiques devraient en conséquence s'accompagner de processus d'évaluation rigoureuse des risques.

Selon la conception classique concernant le rôle des conseils scientifiques aux décideurs (l'expertise comme aide à la décision), la certitude est nécessaire à la gestion des problèmes complexes. La demande d'un avis fiable sur la relation entre tel ou tel déterminant et les conséquences environnementales est légitime. Pour autant, les évaluations scientifiques des phénomènes complexes tels que le changement de climat, la perte de biodiversité, l'épuisement des ressources naturelles, les nanotechnologies, ou les perturbateurs endocriniens sont confrontées à un certain nombre d'incertitudes qui revêtent des formes diverses, difficilement appréhendables, de manière efficace, dans la pratique.

Les avis d'experts et leurs conséquences sur le plan décisionnel ont par le passé conduit à de vifs débats (voir les conséquences des essais nucléaires aériens aux Etats-Unis dans les années 50). Cependant, la controverse avait tendance à se limiter à la communauté scientifique. Ce n'est que dans le contexte d'accidents à répétition et de scandales sanitaires (Seveso, Chernobyl, vache folle, amiante) que le débat a été élargi et qu'une demande sociale s'est exprimée en mettant en cause la façon de conduire, voire la qualité même de l'expertise [Cette contestation doit être mise en relation avec la robustesse sociale de la décision].

La mobilisation de l'expertise se doit de faire le point sur l'état des connaissances du moment, avec leurs lacunes identifiées, en rapport avec la question pour laquelle une décision est nécessaire. Les évaluations scientifiques doivent intégrer l'information allant de l'ensemble de connaissances scientifiques bien établies aux conjectures intuitives, aux modèles préliminaires, aux hypothèses expérimentales. Dans de tels contextes, l'incertitude ne peut, la plupart du temps, pas être (attribuée à un manque de connaissances sous forme de données que des efforts de recherche supplémentaires seraient en mesure de combler) réduite à des recherches additionnelles (simple production de nouvelles données) ou à des évaluations comparatives de la preuve fournie par des experts, recherchant une interprétation consensuelle des risques. Il n'est pas impossible que plus de recherche sur les questions complexes conduise, parfois, à plus d'incertitudes (de nouvelles hypothèses, sources d'incertitudes), peut mener à une polémique plus intense et à un niveau de preuve plus faible, si ces hypothèses implicites ne sont pas traitées de manière adéquate. Ainsi, analyser « techniquement » l'incertitude ou simplement feindre la recherche d'interprétations consensuelles de preuves peu concluantes, n'est pas suffisant.

Les études en sciences sociales sur les expertises scientifiques montrent que dans beaucoup de problèmes complexes, les processus, au sein de la communauté scientifique, aussi bien qu'entre cette communauté et les décideurs, les parties prenantes et les autres membres de la société, détermine l'acceptabilité d'une évaluation scientifique comme base commune pour l'action.

Crédits: Jean-Marc DOUGUET, chercheur à l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines
Jeroen VAN DER SLUIJS, professeur assistant au Copernicus Institute for Sustainable Development and Innovation
 
Définition

Molécules ayant un impact sur l'équilibre hormonal d'espèces vivantes et susceptibles d'avoir des effets indésirables sur la santé.