Droit environnemental : les responsabilités et dommages

La spécificité et l’évaluation complexe des préjudices environnementaux compliquent la réparation juridique des dommages. Outre la définition de la notion de dommage écologique, il convient de constater la relative inadéquation des régimes de responsabilités face à ces caractères mouvants et incertains, comme l’illustre le droit de la responsabilité civile (dommage, fait générateur et lien de causalité)« Les responsabilités environnementales dans l’espace européen, point de vue franco-belge », Bruylant, 2006, 910 p.. Progressivement, le droit s’efforce d’intégrer ces particularités « écologiques » en aménageant les mécanismes de mise en jeu de la responsabilité (sans faute, pour faute : administrative, civile, pénale) et d’indemnisation des préjudices (assurances, fonds d’indemnisation).

Dans l’attente de la transposition en 2007 de la directive 2004/35/CE sur la responsabilité environnementale Directive 2004/35 du PE et du Conseil du 21/4/2004, la majorité des textes appréhende la réparation des dommages environnementaux par le prisme des dommages traditionnels faits aux personnes et aux biens; par contre, la réparation du dommage écologique en l’absence de tout préjudice individuel demeure encore aléatoire. La directive 2004/35/CE (article 2) concerne les dommages causés « aux espèces et habitats naturels protégés », les dommages affectant les eaux et les sols.

Ces dommages doivent revêtir un caractère grave (pour ce qui concerne « la constitution ou le maintien d’un état de conservation favorable » des habitats et espèces), négative (« sur l’état écologique, chimique, quantitatif ou le potentiel écologique des eaux », ou « un risque d’incidence négative grave sur la santé humaine du fait de l’introduction directe ou indirecte en surface ou dans le sol de substances, préparations, organismes ou micro-organismes » ). L’annexe I du texte communautaire précise les critères à prendre en considération lors de l’évaluation des effets des dommages environnementaux permettant de caractériser leur gravité et/ou affectation grave et négative de l’état écologique des milieux appréhendés. Elle introduit une distinction des responsabilités en fonction du type de dommage causé; ainsi pour les dommages causés aux habitats naturels et aux espèces, l’exploitant doit avoir commis «une faute ou une négligence ».

La directive comporte une série d’exclusions (art. 4) [« Conflit armé (…), phénomène naturel de nature exceptionnelle, inévitable et irrésistible (…) ».], notamment en raison de l’existence de régimes juridiques spécifiques, de l’impossibilité d’établir un lien de causalité entre les dommages et les activités des différents exploitants et activités professionnelles mentionnées aux annexes 2 et 3. Elle laisse le soin aux Etats membres de compléter son champ d’application et/ou de maintenir ou prendre des dispositions plus strictes.

Elle prévoit un dispositif d’évaluation des dommages, des actions de réparation (art. 6), les coûts liés à la prévention et à la réparation conformément au principe du pollueur-payeur (art. 8) (…). Toutefois, ce texte ne « confère aux parties privées aucun droit à indemnisation à la suite d’un dommage environnemental ou d’une menace imminente d’un tel dommage » (art. 3), laissant le soin aux Etats membres la liberté d’organiser eux-mêmes ces dispositifs. Enfin, elle n’impose aucune obligation en termes de garantie financière ou d’assurance, laissant le champ libre aux Etats membres d’encourager le recours à de tels mécanismes, dans l’attente d’un rapport de la Commission (avril 2010) en particulier sur la « disponibilité à un coût raisonnable et sur les conditions des assurances et autres formes de garantie financière ».

A l’échelon international, différents textes instaurent des régimes de responsabilité civile pour certains type de risques connus (nucléaire, transport maritime d’hydrocarbures, accidents industriels, transports de déchets spéciaux, ou en préparation pour les OGM). En droit français, la loi 2003/669 sur les risques technologiques et naturels comporte un chapitre consacré à l’indemnisation des victimes de catastrophes technologiques (ch4 titre I) et modifie des dispositions du code des assurances. Ainsi, la constatation publique de l’état de catastrophe technologique permet d’ouvrir droit à la garantie de l’assuré (particuliers, syndicats de co-propriété) pour les dommages affectant les biens (mais non les personnes) faisant l’objet de contrats d’assurance énumérés par la loi (dommages incendies, dommages aux biens usage d’habitation, véhicules terrestres). Une telle garantie obligatoire couvre, en principe, la réparation intégrale des dommages et est accordée aux assurés dans un « délai de trois mois à compter de la date de remise de l’état estimatif des biens endommagés (…) ». La loi institue un fonds de garantie chargé d’indemniser, dans la limite d’un plafond, les dommages causés par une catastrophe technologique pour toute personne dont l’habitation principale, « sans être couverte par un contrat (..) a subi des dommages immobiliers ». Elle élargit ainsi les possibilités de recours du fonds de prévention des risques naturels majeurs institué par la loi du 2/2/1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement Les risques technologiques, la loi du 30 juillet 2003 ».

Le décret 2005/1466 précise les conditions de constatation de l’état de catastrophe technologique (accident rend inhabitable plus de 500 logements) et celles concernant l’indemnisation des victimes (par exemple le plafond de 100 000 euros du fonds). Cette imbrication de régimes d’assurances (obligatoire ou non, avec ou sans plafond), de garanties financières obligatoires (loi 1976 sur les installations classées, reprise dans le code de l’environnement), et de fonds d’indemnisation (fonds international d’indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, fonds d’indemnisation pour les victimes de l’amiante) est destinée à faire face à l’ampleur des coûts générés par de telles catastrophes.

Un tel phénomène de socialisalisation des risques Responsabilité et socialisation du risque » se conjugue avec l’émergence de nouvelles formes et/formes rénovées de « gouvernance » ou de « gouvernement des risques » Du bon gouvernement des risques : le droit et la question du risque acceptable.

Crédits:
Nathalie HERVE-FOURNEREAU, chercheur au CNRS, IODE-Cedre, Faculté de Droit et de Science Politique -Université de Rennes 1
 
Référence bibliographique

Union Européenne. Directive 2004/35 du PE et du Conseil du 21/4/2004. Sur la responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux, JOUE L 143 du 30/4/2004 p 56. Union Européenne, 2004.

Référence bibliographique

Camproux-Duffrène Marie-Pierre (sous la dir.). Les risques technologiques, la loi du 30 juillet 2003 ». Presses universitaires de Strasbourg, 2005. 167.

Référence bibliographique

Conseil d'Etat. Responsabilité et socialisation du risque ». Rapport public 2005. Jurisprudence et avis de 2004. Documentation française, 2005. 399.

Référence bibliographique

Noiville, C.. Du bon gouvernement des risques : le droit et la question du risque acceptable. PUF, 2008. 235.