Les formes d'incertitude

Selon la conception traditionnelle de la recherche dans le domaine politique, l'incertitude entrave l'évaluation et la prospective des problèmes complexes. Trois facteurs interdépendants y jouent un rôle primordial : l'incertitude dans la base des connaissances, les différences dans la structuration du problème, et l'insuffisance d'accords institutionnels à l'interface des politiques et de la science. Les méthodes traditionnelles quantitatives d'appréhension de l'incertitude telles que l'analyse de Monte Carlo (La méthode Monte Carlo permet d’introduire une approche statistique de l’incertitude à partir de calculs de la propagation d'erreur, notamment, dans les résultats de simulation. Elle consiste à identifier un certain nombre de variables clés et de leur affecter une distribution de probabilité. On effectue un ensemble de calculs aléatoires afin d’identifier la probabilité d’occurrence des résultats proposés.) ne sont pas appropriées à de telles évaluations. Les situations traitées se caractérisent par des incertitudes inquantifiables qui tendent à dominer les incertitudes quantifiables. Ces dernières incluent celles liées à la structuration du problème, aux structurations des modèles, aux hypothèses, aux frontières du système, aux indéterminations, et aux valeurs sous-jacentes.

Bien que les techniques quantitatives soient essentielles dans quelque analyse de l'incertitude que ce soit, elles ne peuvent, seules, expliquer ce qui peut être mesuré d'une manière significative. Elles fournissent ainsi une perception partielle d'un ensemble complexe d'incertitudes. Les dimensions principales de l'incertitude sont techniques (inexactitude), méthodologiques (manque de fiabilité), épistémologique (ignorance), et sociales (robustesse sociale). Chacune de ces dimensions peut être appréhendée à différents niveaux dans les évaluations, comme celles, par exemple, au niveau du contexte, de la structuration du problème, du choix de l'indicateur, des hypothèses du modèle, des paramètres du modèle, et des données.

Concernant les dimensions techniques, l'inexactitude se rapporte à la précision numérique des données. Elles peuvent, par exemple, être entravées par la capacité limitée de résolution des appareils de mesure ou sont provoquées par la dispersion des mesures répétées, mais peuvent également résulter de la variabilité normale des données.

Une autre dimension de l'incertitude est associée aux limites des méthodes que nous employons. Si un nombre est obtenu par une méthode d'estimation, il est moins fiable que s'il était fondé sur un grand échantillon de mesures directes. De plus, des études d'évaluation des risques sont souvent conditionnées par un grand nombre d'hypothèses retenues dans l'analyse, tandis que la validité de ces hypothèses est, habituellement, mal connue.

La troisième dimension, l'incertitude épistémologique, provient de notre capacité limitée à savoir et à comprendre : l'ignorance. Elle peut prendre une forme active ou passive. L'ignorance active est, par exemple, en jeu quand un évaluateur se rend compte des champs dans lesquels sa connaissance du risque est limitée, mais n'a aucune idée de l'importance relative de ces champs de sorte qu'il n'a, donc, aucune manière correcte d'inclure ces derniers dans l'analyse. L'ignorance passive est en jeu quand on ne se rend pas compte de ce qu'on ne sait pas.

La quatrième dimension met en exergue le caractère social. On parle de « robustesse sociale ». Si les scientifiques ne négocient pas la crédibilité et le soutien de leur évaluation des risques par le public, l'évaluation peut être perçue comme étant biaisée ou tellement incertaine qu'elle n'ait aucune valeur indicative. Dans les controverses concernant les risques, les évaluations scientifiques sont souvent délaissées lorsque les hypothèses de base sont révélées dans un débat social, comme étant sujettes à la suspicion de partialité et de biais.

De nos jours, les méthodes d'évaluation quantitative de l'incertitude se focalisent sur la dimension de l'inexactitude et, en pratique, leur application est habituellement limitée aux incertitudes au niveau des données et des paramètres. Dans de nombreux problèmes écologiques complexes, les autres dimensions (manque de fiabilité, ignorance, robustesse sociale) et leurs localisations (structuration du problème, structuration du modèle, hypothèses du modèle) dominent l'incertitude globale. Cela implique que ces méthodes ont une portée limitée. Elles peuvent cependant être complétées par de nouvelles approches traitant de ces dimensions qualitatives de l'incertitude, difficiles à mesurer et largement sous-estimées dans le passé.

Crédits: Jean-Marc DOUGUET, chercheur à l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines
Jeroen VAN DER SLUIJS, professeur assistant au Copernicus Institute for Sustainable Development and Innovation