Réchauffement climatique, que faire pour les transports : territoire et comportements

Formes urbaines et consommation énergétique des transports

Crédits: Newmann et Kenworthy

Vous connaissez probablement cette courbe célèbre qui représente en fonction de la densité moyenne des agglomérations, la consommation d’énergie par les transports des citadins : par consommation croissante, Hong-Kong, Singapour, les capitales européennes, les grandes villes australiennes et les grandes villes américaines. Un urbain américain est ainsi contraint de consommer 5 fois plus d’énergie en transport pour vivre qu’un citadin moyen européen. C’est l’une des explications de la moindre efficacité énergétique du système américain et de leur forte dépendance au pétrole. La structure du territoire est l’un des composants lourds de la consommation totale de carburant par habitant (elle est en Amérique du nord le double de l’Europe de l’Ouest). Ainsi, les transports consomment les deux-tiers du pétrole en France, et la consommation de pétrole par habitant est la même en France et en Allemagne. On entend souvent « Oui, mais ceci est une question de richesse : quand nous sommes plus riches, nous consommons plus d’énergie ». Ce n’est pas exact : vous avez vu dans l’histoire qu’entre 1973 et 1987, nous étions devenus beaucoup plus riches tout en consommant moins. Ce n’est pas non plus vrai entre les pays au-dessus de 5 à 6 000 dollars de PIB par tête : alors pour un même PIB, les émissions de CO2 liées aux consommations de combustibles fossiles sont très différentes d’un pays à l’autre et ce n’est pas qu’en fonction de leur bouquet énergétique.

Consommation de carburant par habitant

Autre marge très simple : nous ne sommes pas obligés de choisir une voiture qui consomme beaucoup. Une voiture reste en moyenne 85% de son temps stationnée, dans les 15% d’utilisation, elle roule à 80% en ville, c'est-à-dire à des vitesses inférieures à 50 km/h. En cycle urbain européen normalisé, donc pour un même trajet et service rendu, vous allez consommer, si vous avez une voiture conçue pour rouler à 220-240 km/h – ce qui est d’ailleurs strictement interdit –, deux à deux fois et demi plus de carburant que si vous avez une voiture censée ne pas pouvoir dépasser le 140. Vous n’êtes donc pas non plus obligés d’acheter une voiture qui grève votre budget pétrole en même temps que le budget CO2 de la planète. Une illustration est intéressante à ce sujet : les achats de voitures neuves sont faits en France à 40 % par les entreprises (60% au Royaume-Uni) qui souvent les revendent après moins de 3 ans. Les parcs moyens des voitures d’entreprises consomment environ un demi-litre de plus que le parc moyen français. Selon Jean-Pierre Orfeuil (Université Paris-Sud), si les entreprises localisées en France n’achetaient plus que des voitures consommant un litre aux cent kilomètres de moins, la France économiserait un million de tonnes équivalent pétrole (tep).

Puisque nous en étions à rouler en ville, faisons nos emplettes. Examiner les relations entre l’urbanisme et le transport suscite inévitablement la réaction suivante : « Oui mais changer une ville, c’est très long ! ». Cependant, certaines interventions pourraient être beaucoup plus rapides. Il s’agit des choix de fonctionnalité dans la ville et notamment des choix concernant la distribution et le commerce. L’exemple suivant est cher à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME).

Vous avez trois solutions aujourd’hui pour faire vos courses.

Comparaison des conséquences de 3 scénarii d’urbanisme sur l’approvisionnement des ménages et les consommations d’énergie : les scénarios

Crédits: Alain MORCHEOINE, ADEME

La première est le scénario 2 : vous habitez dans une zone où il y a encore des commerces, vous pouvez, en rentrant du travail, passer à la supérette locale faire vos courses, à pied ou en transport en commun et les ramener chez vous plusieurs fois dans la semaine. Cette supérette est alimentée depuis un grossiste par un camion de 6 tonnes qui vient de 10 kilomètres deux fois par semaine. Autre scénario, vous habitez dans une région désertifiée commercialement et vous allez à l’hypermarché tous les week-ends. Vous prenez votre voiture, faites vos 10 kilomètres une fois par semaine et vous ramenez votre caddie. Troisième possibilité, vous faites vos courses par internet et vous vous faites livrer par une camionnette.

Le bilan est éloquent : par rapport au scénario de base, celui des villes équipées en commerces de proximité, le schéma hypermarché consomme 60 fois plus de pétrole. Si vous faites rouler des camionnettes avec l’e-commerce, vous allez consommer encore 15 à 16 fois moins que dans le scénario hypermarché. Ce facteur 15 ou 60 est tout à fait bienvenu lorsque l’on parle de facteur 5 en énergies de transport. Il est d’autant plus le bienvenu que beaucoup de personnes résidant dans ces zones sont absolument contraintes d’avoir une voiture ou un deux-roues pour le travail, pour l’adolescent qui va au lycée ou à l’Université, quand la zone est mal desservie en transports en commun. Déjà en 1994, Orfeuil et Polacchini comparaient en Ile-de-France les zones dans lesquelles le prix du foncier est peu élevé et les zones chères, centre ville par exemple : si le pourcentage du revenu occupé par le logement reste entre 20 et 28 %, plafonné par les prêts bancaires, autant le pourcentage du revenu occupé par le transport varie entre 5 et près de 30 %. Dans ces zones, cette dépense est contrainte puisque selon une autre étude (IAURIF) si vous n’avez pas de voitures dans ces zones, vous divisez par 100 vos chances d’avoir un travail.

Les préoccupations CO2 recoupent donc des préoccupations très classiques pour des gestionnaires de territoires et des politiques.

Comparaison des conséquences de 3 scénarii d’urbanisme sur l’approvisionnement des ménages et les consommations d’énergie : les résultats

Crédits: Alain MORCHEOINE, ADEME

Voici ensuite quelques ordres de grandeur sur les émissions que nous pouvons gagner aujourd’hui, à technologie existante, en faisant du transfert modal : un facteur 60 si vous allez à Toulouse ou à Marseille en TGV plutôt qu’en avion. Si vous prenez le TGV plutôt que votre voiture, vous pourrez d’abord tranquillement lire dans le train et vous gagnerez un facteur 35. S’agissant de marchandises, entre la route et le rail, avec des résultats variables selon que vous regardez la moyenne ou les meilleurs, les rapports peuvent aller jusqu’à 200 entre la moyenne du parc et le meilleur train de marchandises. Vous avez un facteur de 2 à 3 entre la route et le fleuve. Vous pouvez même avoir en « route-route », un facteur 2 à 4 : c’est le cas dans les livraisons en ville, autre exemple cher à l’ADEME ; lorsque vous avez 12 fois une demi-tonne à livrer en ville en envoyant des camionnettes simultanément à 12 endroits différents, parce que vos clients vous ont demandé de livrer entre 6 h 45 et 7h00 ou que le règlement de la collectivité impose de livrer dans un créneau restreint, vous allez consommer 3 à 4 fois plus d’essence que si vous pouvez prendre ces 6 tonnes dans un camion qui fait une tournée entre les 12 points. Voici donc là aussi des choses que nous avons sous la main et auxquelles nous ne pensons pas forcément.

Crédits:
Dominique DRON, Professeur à l’Ecole des Mines de Paris – CEP