Les sols urbains et les modes d’urbanisation

1. Les sols urbains

La notion de sol est complexe : un sol « naturel » est défini comme l’interface entre la lithosphère, l’atmosphère, l’hydrosphère et la biosphère. On peut le percevoir comme le support de la vie. L’écorce terrestre est altérée par l’action de l’eau, de la chaleur et des êtres vivants. Il se constitue alors un profil d’altération reconnaissable par la présence de bandes appelées « horizons », plus ou moins riches en matière organique ou minérale en fonction de leur emplacement à l’intérieur du profil, du type et de l’âge du sol, de l’intensité des processus (chimiques ou mécaniques) qui président à l’altération du substrat.

Les sols urbains sont, de part leur histoire, bien différents de ce dernier. Ils n’ont, en fait, plus de sol que leur nom car ils ont perdu leurs horizons initiaux et, le plus souvent, la fonction même d’un sol, à la fois support de vie, mais aussi filtre pour les eaux ou encore siège de la microfaune et flore du sol. Dans le cas des sols urbains, les échanges avec le milieu, les transferts (eau, énergie, chaleur, pression) sont alors modifiés et d’une grande variabilité spatiale : l’imperméabilisation totale par exemple entraîne un ruissellement accrû en surface. Ils sont très souvent constitués de remblais et sont ainsi d’une grande hétérogénéité granulométrique et chimique (matière organique, métaux lourds, effluents volatiles…). Cet état est source de déstabilisation, par maturation de certains composants organiques par exemple.

Ces sols urbains sont aussi le résultat de la stratification de plusieurs occupations. Il est essentiel de prendre en compte parfois des profondeurs importantes de plusieurs dizaines de mètres, donc le sous-sol (extraction de matériaux) pour comprendre les processus de mise en mouvements du sol. Ils ont aussi une valeur patrimoniale importante et la limite entre appartenance au domaine public ou au domaine privé n’est pas toujours simple. Dans les centres urbains denses et anciens, il s’y ajoute une fonction technique très importante : ces sols et sous sols sont le siège de multiples réseaux en surface (routier, ferroviaire…), et en profondeur (réseau de gaz d’électricité, des eaux, de transport ou de télécommunication).

2. Le rôle majeur de l’urbanisation

L’urbanisation entre en jeu dans l’importance des dommages, naturellement, mais également comme facteur déclenchant parfois du phénomène. On peut distinguer 3 types d’implication qui peuvent interagir de concert.

Les constructions sont, par elles même, le premier facteur déclenchant, tant par leurs emprises spatiales que par leurs poids. Elles entraînent des tassements, affaissements, remises en mouvement d’un sol ou d’un sous-sol instable. Toutefois ce point peut être trompeur. Ainsi le cas du risque retrait gonflement est assez révélateur de la diversité de l’implication du mode d’urbanisation. Cet aléa consiste en la variation de volume de formations à forte composante argileuse en fonction de leur de teneur en eau. On a vu que sa localisation n’a rien à voir avec une quelconque zonation climatique mais plutôt avec une zonation géologique par la présence de formations à forte composantes argileuse. Quel type d’habitat est concerné ? Statistiquement, les dossiers d’assurance montrent que le retrait-gonflement affecte surtout l’habitat individuel (pavillons) et les petits bâtiments. Les centres anciens sont apparemment moins touchés. La pression démographique, le développement des infrastructures de transports depuis les années 1970, le boom de l’accès à la propriété ont favorisé les constructions individuelles dans tous les secteurs des vallées alluviales en Ile-de-France. Mais, ces constructions ont été réalisées avec des fondations de moindre profondeur ; souvent, les fissures se révèlent à la suite d’une construction à l’amont de la parcelle, ayant modifié l’écoulement des eaux.

L’environnement même des lieux joue un rôle de première importance dans le déclenchement des processus : la topographie, le contexte hydrogéologique, mais aussi, comme facteurs aggravants, la végétation et les défauts de construction (comme les fondations pas assez ancrées dans le sous-sol), comme l’indique le tableau ci dessous.

La part des facteurs humains dans l’aléa retrait-gonflement

L’urbanisation et la concentration de l’habitat qu’elle entraîne, s’accompagnent d’une multiplication des infrastructures de surface et en sous-sol. Ce dernier se transforme en une sorte de mille feuilles particulièrement exposé. Cet état accroît l’endommagement et parfois le déclenchement des mouvements du sol : rupture de canalisation, route constituant un barrage à l’écoulement des eaux, drainage excessif ou insuffisant. Chaque modification de la circulation des eaux au sein d’un bassin versant modifie son équilibre et favorise la dissolution de certaines roches, carbonates, gypse, créant des fontis, ou l’engorgement et la solifluxion, phénomènes propices aux glissements de terrain.

Les modes d’urbanisation : la croissance urbaine investit parfois des milieux autrefois dévolus à d’autres activités. Leur disparition et les vestiges qu’elles y ont laissés ne sont pas sans conséquences. C’est le cas des anciennes carrières de calcaire à Paris ou des champignonnières du nord de la petite couronne en Ile-de-France, ou encore des zones minières de l’est de la France. Le pompage continu de la nappe ne s’y fait plus ; les eaux d’infiltration remontent dans les galeries et les fragilisent. De vastes surfaces sont devenues inhabitables et les effondrements s’y multiplient.

Ces déformations de terrain n'ont pas eu de conséquences notables sur les constructions situées au cœur des zones affaissements. En revanche, celles qui étaient en périphérie, ont subi à la fois des mouvements de bascule et des sollicitations de traction (dues à l'étirement des sols) entraînant de graves dommages et souvent leur ruine. Ces dommages touchent aussi les réseaux d’assainissement, avec parfois une inversion de leur écoulement, leur rupture aussi et une pollution des sols et des nappes. D'une façon générale, les affaissements miniers sont à l'origine de modifications irréversibles des écoulements de surface qui ont nécessité la construction de stations de relevage des eaux usées et pluviales. Cette situation a compliqué évidemment le développement urbain puisque les populations sont exposées aux inondations en cas de défaillance des équipements. Des sinistres récents (en Lorraine), à partir de 1996 notamment, ont amené à reconsidérer complètement le problème et à étudier le risque de mouvement de terrain.

Crédits: Catherine CARRE, Maître de conférences à l’université de Paris1 Panthéon Sorbonne
Michèle CHARTIER, Maître de conférences à l’université de Paris1 Panthéon Sorbonne