Sols pollués : une conjonction d’intérêts à ne pas informer le public

Le risque « sol pollué » s’apprécie différemment des autres risques dans la mesure où, s’il est bien au croisement d’un aléa et d’une vulnérabilité, il s’agit d’abord d’un passé à gérer, d’une gestion a posteriori d’une pollution. Il s’agit ensuite d’une pollution chronique, caractérisée par l’accumulation de polluants, difficile à déterminer en termes d’enjeux humains : l’alea n’est pas clairement identifié car l’enjeu relève d’une évaluation sanitaire, basée sur l’accumulation de doses, en fonction de la nature future des usages du terrain pollué et des temps d’exposition aux polluants qui en résulteront.

Pour autant, ce risque est crucial pour nos sociétés. Si les activités de production industrielle diminuent en France, il reste un certain nombre de secteurs d’activités qui utilisent des produits polluant des sols et, par transferts, de l’eau et de l’air. Il faut surtout gérer le devenir de sols pollués par plus de deux siècles d’activités industrielles, en raison de leur proximité avec l’activité humaine et des risques qui en découlent. Ces sols sont souvent convoités pour de futures opérations d’aménagement, particulièrement pour celle de requalification urbaine, dans une démarche de développement durable. Les multiples enjeux concernent d’abord la préservation de la santé humaine et de la salubrité mais aussi le développement local, dans un contexte où émerge un besoin croissant en recyclage foncier d’espaces déjà bâtis. Or, dans le cas de l’Ile de France, 20% des anciens terrains industriels en première couronne sont pollués et 70 % des emprises foncières disponibles dans la région nécessitent d’être traitésL’Ile-de-France doit dépolluer ses terrains industriels.

Il faut d’abord insister sur la difficulté à évaluer le risque et à établir une méthode probante d’évaluation de ce risque. Henri PEZERAT (toxicologue, directeur de recherche au CNRS) rappelle que si les produits cancérogènes sont connus (100 produits ou agents physiques sont cancérogènes avec certitude, 400 sont potentiellement dangereux), les cancers environnementaux sont plus difficiles à identifier que les cancers professionnels. En effet, la dispersion des polluants conduit à des concentrations beaucoup plus faibles d'agents cancérogènes. Selon l’AFSSET, l’estimation des expositions fait appel à la modélisation des transferts et à la mesure des polluants, méthodes qui présentent chacune certains inconvénients Sites et sols pollués. Tous les auteurs reconnaissent que les cas ayant des effets sur la santé, imputables sans ambiguïté à la pollution des sols, sont rares. Des plombémies élevées ont parfois été mesurées, mais souvent sans que l’on puisse distinguer la part due au site pollué de celle due aux émissions actuelles du site industriel ou de celle due au bruit de fond local (cas des résidus de sites miniers dans des zones à fond géochimique élevé). Dans le cas particulier du quartier sud de Vincennes (années 1990- 2001), une densité inhabituelle de cancers d’enfants a été relevée, mais les études épidémiologiques et environnementales conduites n’ont pas indiqué de lien de cause à effet avec la pollution de l’ancien site industriel présent dans ce quartier.

Mais, s’il y a bien une vraie difficulté à apprécier les impacts sur la santé, Frédéric Ogé et Pierre Simon soulignent la rareté des enquêtes épidémiologiques : « Faute d’information suffisante il n’est pas aisé d’identifier la toxicité des produit auxquels on peut se trouver exposé ». Henri Pezerat reste très critique quant à la fiabilité des organismes de l’État en matière de détection des cancers environnementaux : « Le premier souci des pouvoirs publics reste d'éviter toute vague, toute mise en cause d'acteur économique de poids ou d'administrations défaillantes. Et les institutions de recherche, apparaissent incapables d'initiative, sans imagination, influencés par les milieux industriels ou paralysées par la peur de déplaire » La lutte contre les maladies cachées.

Frédéric Ogé et Pierre Simon s’interrogent sur les vertus d’un système où il existe de fait une connivence entre les personnels de l’État, chargés de surveiller les sites industriels; et les dirigeants des entreprises, formés souvent dans les mêmes grandes écoles. « Durant des décennies, ces hauts fonctionnaires habitués à traiter les problèmes sans mettre à mal leur solidarités professionnelles, n’ont pas jugé bon d’informer les Français d’en bas. La priorité était donnée à la production et non à la protection, quitte à encourager l’indemnisation quand la pollution devenant trop criante ou quand les médias y faisaient écho. » Sites pollués en France Et de rappeler que trop d’entrepreneurs refusent encore aujourd’hui des payer pour gérer au mieux leurs déchets. Cependant, ils terminent ce tour d’horizon des responsabilités partagées en insistant sur l’importance de l’information et du contrôle des citoyens sur les informations les plus sensibles.

Crédits:
Catherine CARRE, Géographe, MCF à l’université de Paris1 Panthéon Sorbonne
Michèle CHARTIER, Maître de conférences à l’université de Paris1 Panthéon Sorbonne
 
Référence bibliographique

Gouge, Francis. L’Ile-de-France doit dépolluer ses terrains industriels. Le Monde, 2005, n°11 octobre 2005, .

Référence bibliographique

AFSSET. Sites et sols pollués. AFSSET, juillet 2006 .

Référence bibliographique

Pézérat Henri. La lutte contre les maladies cachées. Le Monde, 2006, n°27 avril 2006, 19.

Référence bibliographique

Ogé, Frédéric et Simon, Pierre. Sites pollués en France. Editions Librio, septembre 2004 .