Processus participatif : délibération et communication

1. La délibération implique la communication ...

La délibération est une pratique sociale qui se repose sur la communication. Et, chose parfois oubliée, la communication peut simplement ne pas être possible ... quand bien même elle est réellement souhaitée. Devant les obstacles comme les distances géographiques, les différences de langue et de coutume, l’absence de connaissances partagées, et ainsi de suite, la compréhension réciproque n’est pas chose facile : soit parce que les participants potentiels ne trouvent pas de point de repère commun, soit parce que le processus n’assure pas aux participants les moyens (dont le temps) nécessaires de cette communication.

C’est précisément lorsque la « circulation de l’information » est fortement pluri-directionnelle que peuvent apparaître des limites intrinsèques de la démarche délibérative, limites qui sont liées aux défis du partage (ou non) de sens et des valeurs. Nous en mentionnons trois.

2. ...mais, la Communication ne veut pas dire consensus

Un thème important de la littérature sur la délibération, par exemple dans les écrits de Habermas et des analystes sous son influence, est l’émergence d’un consensus sur la seule base de la réflexion et la qualité d’argument. Il y a, pourtant, de bonnes raisons de se réserver sur la probabilité d’une convergence d’avis, même dans des circonstances « idéales » où les protagonistes acceptent de discuter avec ouverture d’esprit et tolérance.

Il existe dans la vie humaine, une pluralité de formes ou de principes du Bien et du bien-être, affirmés dans les pratiques des sociétés ou groupes différents. Il se peut que, ces diverses formes ne puissent pas être simultanément réalisées. L’on donne souvent l’exemple des impératifs religieux ou culturels d’un groupe qui peuvent être ressentis comme (et peuvent être réellement) des agressions contre les normes ou les valeurs d’un autre groupe. Ce n’est pas que des ennuis de religion ; même les normes d’hospitalité et les conventions cérémonielles des rencontres inter-culturelles peuvent susciter des difficultés.

De même, dans la vie quotidienne, un individu peut souvent être devant plusieurs options, chacune honorable mais exclusive les unes des autres (le mariage exclu la vocation religieuse ; la fidélité à un membre de la famille peut exclure un choix de la vie d’aventure, et ainsi de suite). L’exploitation à longue durée des eaux de rivière ou d’estuaire pour les besoins de la production d’électricité est sans doute de certains points de vue légitime (vie économique, besoins énergétiques de la communauté...) ; mais, elle peut être en conflit avec d’autres objectifs comme la richesse biologique, l’intégrité des écosystèmes riverains, etc. Des conflits de ce type présentent des dilemmes et ne peuvent être résolus par un simple classement hiérarchique des critères (c’est-à-dire, un calcul qui permet de préférer la vocation religieuse sur le mariage, ou l’électricité sur la nature, ou vice versa). La délibération dans de telles circonstances peut éclaircir les dilemmes de la société sur des formes plurielles du Bien et des choix, sans les résoudre.

Ensuite, et même sans parler des systèmes de valeurs culturelles irréconciliables, il peut exister ou émerger des conflits d’intérêt qui ne sont pas facile à résoudre. Dans de nombreux cas des projets de développement énergétique et autre (barrages, éoliennes, nouvelles technologies génétiques ou agricoles) justifiés au nom de l’intérêt public, de la sécurité nationale, de réduction de misère, ou d’un plus grand rendement économique (etc.), les intérêts réels économiques et sociaux de certaines populations locales (riverains, paysannes, par exemple) sont difficiles à concilier et se trouvent parfois balayés.

3. La coexistence n’est pas une valeur universelle

Il se peut que certaines des protagonistes n'ont pas la volonté d’affirmer un principe de réconciliation et, de ce fait, ne s’intéressent pas à la recherche ni d’un cadre commun de compréhension, ni d’un parcours de compromis. Ceci peut être en raison des valeurs ou des systèmes de croyance (dont des systèmes métaphysiques sur la nature humaine, le destin de l’homme, le progrès, le Bien et le Mal, etc.) qui expliquent et justifient l’intolérance vers l’autre (la guerre juste, l’obligation de porter la Vérité, de repousser le Mal, etc.). Très souvent, cette prise de position se trouve réconfortée par la conviction que, de toute façon, l’autre est juste aussi intolérant et, pour le mieux et le pire, c’est la bonne guerre ...

L'espoir de la délibération comme démarche de conciliation (et donc de contrat et de confiance) est qu'on peut trouver une solution plus intéressante qu'un strict arbitrage entre des positions fixées à l'avance. Les participants, en s’exposant les uns aux autres leurs vues initiales dans un débat raisonné, peuvent changer d'avis et parfois aboutir à une réconciliation. Le processus concertatif affirme ainsi un certain espoir. Mais, pour les raisons déjà énoncées, il se heurte à des limites. Dans tel contexte — nommé « univers controversé » ou « non-stabilisé » par certains commentateurs — l’exercice visible du pouvoir (politique et autre) devient inévitable et, ceci sous de diverses formes qui peuvent être ressenties comme compatibles avec ou antagonistes aux valeurs de tolérance qui sous-tendent la délibération.