1. Des Enjeux Élevés
Des décisions à enjeux fondamentaux doivent souvent être prises dans l'urgence (ou bien elles arrivent par défaut), par exemple, changement climatique, OGM, vache folle, entreposage de déchets radioactifs. L'évaluation offerte par les experts (ACA, normes de sécurité validées scientifiquement, etc.) est insuffisante pour la prise de décision publique ou privée de questions liées à des risques et des irréversibilités élevées.
Cette insuffisance de l'évaluation technique offerte par les experts est démontrée par de nombreux cas historiques. On peut rappeler, à cet égard, les controverses scientifiques et publiques suivantes : l'énergie nucléaire (sécurité des réacteurs et entreposage des déchets), pluies acides et pot catalytique, technologies de modification génétique (médicales, agricoles, industrielles), pollutions atmosphériques globales (CFC et couche d'ozone, accroissement de l'effet de serre et politiques climatiques), accidents industriels (Seveso), innovations pharmaceutiques et effets indésirables, traitement des déchets ménagers et industriels (incinération, commerce des déchets, enfouissement, etc.), risques sur la santé et l'environnement liés aux résidus de pesticides, qualité et sécurité de la ressource en eau (désertification, dégradation de l'aquifère, contamination et assurance de la qualité en eau). Une explication de cette insuffisance n'est pas l'irrationalité des membres de la société, mais plutôt les propriétés inhérentes aux situations:
Explication
- Incertitudes irréductibles (incluant la non prédictibilité des systèmes complexes et les risques non quantifiables sur le plan réel des dommages sur la santé et l'environnement ou des pertes d'opportunités économiques),
- La pluralité des valeurs sociales et donc des préoccupations et des critères de justification divergents;
- Des enjeux décisionnels élevés (dont intérêts commerciaux et militaires, des risques de désordre social, des impacts irréversibles potentiellement élevés sur la santé des populations et sur les systèmes de support de vie) et des impacts sur le long terme.
Des évaluations offertes par les experts (méthodes d'évaluations économiques comme ACA, évaluations des risques) ne peuvent pas être décisives dans de telles conditions. La pluralité des valeurs et la controverse sur les critères sont irréductibles.
2. La Concertation d’Acteurs complémentaire à l’Expertise
Dans de telles circonstances, l'assurance de la qualité décisionnelle peut être obtenue en articulant l'expertise à la négociation des acteurs. Des prospectives de choix sociaux satisfaisants peuvent être explorées en prenant ensemble des perspectives de divers acteurs dans un dialogue constructif afin de chercher un terrain d'entente. Cette approche atteint les objectifs de qualité sur les axes suivants :
- Crédibilité des inputs scientifiques et techniques dans la prise de décision;
- Choix robustes sur les plans sociaux, économiques et techniques;
- Large légitimité sociale;
- Qualité scientifique dans un contexte de complexité, de hautes incertitudes des systèmes et d'indétermination sociale.
Cette nouvelle approche est caractérisée par un changement de perspective. L'emphase n'est plus mise sur la seule qualité technique des inputs pour un processus décisionnel, mais aussi sur la qualité de la communication du processus décisionnel en lui même. Lorsque la pluralité des valeurs est irréductible, un processus consultatif de haute qualité et de négociation entre les divers acteurs impliqués, fondé sur un partage de la connaissance est considéré comme susceptible de fournir la meilleure assurance possible de retombées satisfaisantes pour la société.
La construction d'un processus consultatif est critique. Des processus étendus de partage de connaissance, de délibération et de négociation d'acteurs doivent être développés pour être adaptés à la grande diversité des acteurs sociaux impliqués.
Les acteurs concernés sont typiquement les suivants : les agences gouvernementales et les instances de régulation; les citoyens concernés et le grand public; la communauté scientifique; les intérêts industriels et commerciaux; les ONG et les groupes activistes d' "intérêt public".
3. Structuration du Processus Concertatif
Des outils de communication et des procédures consultatives sont à développer afin de fournir les éléments suivants:
- Développement des éléments de définition commune des problèmes et de langage commun pour une communication claire;
- Compréhension des hypothèses sous-jacentes aux techniques d'évaluation des experts, des termes dans lesquels ces techniques peuvent contribuer aux décisions raisonnées et des limites à leur application;
- Partage des raisons et des justifications fournies par les divers groupes sociaux au processus délibératif;
- Statut élevé accordé à la participation d’une large gamme de professionnels et de « profanes » dans les processus consultatifs;
- Large développement et professionnalisation des participants dans les nouveaux processus délibératifs de recherche pour des solutions nouvelles et de compromis fondées sur le respect des divergences de critères et de besoin de coexistence.
Il est utile enfin de maintenir une distinction entre deux situations :
- les situations où les acteurs affirment collectivement leur appartenance à une valeur de délibération.
- les situations où il n’existe aucun accord préalable entre les acteurs qui justifierait la démarche délibérative.
Dans le premier cas la démarche délibérative bénéficie d’un consensus préalable ; le problème n’est donc pas celui de sa légitimité mais celui de sa pratique.
Dans le dernier cas, la démarche délibérative est plutôt l’expression d’un choix et d’un espoir : d’une part le rejet des solutions de domination reposant sur la négation des valeurs marginalisées, d’autre part l’espoir de la possibilité d’une société fondée sur la tolérance et sur la coexistence (qui resterait encore à construire).