Ville et développement durable

La problématique du développement urbain durable se construit au fil de la décennie 1990, période au cours de laquelle le développement durable, qui avait surtout fait l’objet de réflexions scientifiques et onusiennes, devient territorial. Le terme de ville durable apparaît en 1988 dans le cadre du programme MAB - L’Homme et la Biosphère- de l'Unesco. On trouve le terme avoisinant de « communauté durable » dans un ouvrage de Sim Van der Ryn et Peter Calthorpe publié en 1986. Peter Calthorpe deviendra l’un des fondateurs du « new urbanism » aux États-Unis, mouvement qui défend la conception de quartiers et de villes recentrés et moins dépendants de l’automobile. Ces premières approches, marquées par un idéal d’autosuffisance et par l’écosystémique urbaine née au milieu des années 1960, constituent les signes avant-coureur d’une prise de conscience.

L'année 1990 constitue un tournant pour la problématique de la ville durable, dans un contexte de préparation du Sommet de Rio, tant au niveau international qu’européen, avec la parution du Livre Vert sur l’environnement urbain. Le Centre des Nations Unies pour les Etablissements Humains lance un programme intitulé « Cités durables », adressé aux pays en développement. La même année est fondée une association internationale de collectivités locales, avec l’aide du PNUE, dont le rôle va être déterminant. ICLEI, « Les gouvernements locaux pour le développement durable », initie les premières campagnes internationales d’agendas 21 locaux et de réduction du CO2 urbain, dès 1991, et entreprend un ample travail de sensibilisation et d‘accompagnement des collectivités locales qui prennent position en faveur d’un développement durable lien externe http://www.iclei.org/.

Ce travail exploratoire sera relayé par de nombreuses institutions et associations au cours de la décennie 1990, qui aideront les villes à définir de manière expérimentale des politiques de développement durable, à travers différents supports : colloques, publications à caractère méthodologique, réseaux de villes thématiques, appels à projets, ... Les lois viendront sceller, en France, ces nouvelles orientations : LOADDT (1999) et SRU (2000) principalement (lien externe http://www.legifrance.gouv.fr/). Sollicitées par les pouvoirs publics, interpellées par les tissus associatifs, les collectivités locales seront nombreuses à enclencher des réflexions, plus ou moins opérationnelles, sur leur développement durable. Certaines ne se saisiront du terme que comme d’un outil de marketing, d’autres au contraire, plus rares, engageront des démarches innovantes.

Le contenu des politiques de développement urbain durable diffère selon les contextes géographiques et culturels, quelle que soit l’échelle considérée. L’approche des villes occidentales ne peut être transposée par exemple aux villes des pays en développement, ou même en transition. Dans les villes du Sud, les besoins de base sont difficilement assurés, et ce d'autant plus que l'extrême rapidité de la croissance urbaine ne peut pas s'assortir d'une régulation politique à la hauteur de ces évolutions. Les temps d'évolution des structures urbaines (réseaux, équipements, services) sont beaucoup plus lents que l'afflux des populations sous l'effet de l'exode rural, de la démographie, ou des conflits. Les politiques européennes de développement durable interviennent dans un contexte où la croissance démographique des agglomérations est globalement stabilisée.

De même, les enjeux dans les villes nord-américaines diffèrent quelque peu. La problématisation du développement durable urbain est évidemment dépendante des processus et des formes de suburbanisation à l’œuvre depuis plus d’un demi siècle, de la nécessité de repenser la ville dans un fonctionnement des mobilités moins soumis à l’automobile et avec la perspective d’un moindre gaspillage des ressources (en sol, en eau en particulier), tout en faisant des villes des milieux moins ségrégatifs, plus « vivables » collectivement.

En dépit d’avancées certaines, les politiques de développement urbain durable restent marquées par un déficit de portage politique, ce qui les fragilise. Les élus ne sont pas souvent à l’initiative des dynamiques locales, portées plutôt par certains responsables administratifs et associatifs. D’autre part, les initiatives enclenchées n’épuisent pas, loin s’en faut, la problématique du développement urbain durable. De nombreux angles morts de l’action politique persistent, des registres d’inaction, au regard de ce que l’on peut attendre d’un développement durable. C’est sur les volets sociaux et démocratiques que les avancées ont été les plus faibles.

Le premier registre d’inaction concerne les politiques de réduction des inégalités écologiques. La résorption des points noirs, la remise à niveau des territoires écologiquement sinistrés ou dégradés, sont prioritaires si les politiques environnementales veulent être plus équitables, explique Jacques Theys (lien externe http://developpementdurable.revues.org/document1475.html). Les inégalités écologiques constituent encore un point aveugle qu’il est douloureux de lever parce qu’elles ouvrent un champ nouveau de responsabilités pour les entreprises ou la puissance publique, et préfigurent des coûts dont on voit mal aujourd’hui comment ils seront assumés.

Dans le même esprit, la réhabilitation écologique de l’habitat social est un second point faible des politiques publiques. Les quartiers de logements sociaux n’offrent pas la « haute qualité de vie » promise aux quartiers durables et les projets d’éco-construction s’intéressent peu aux banlieues difficiles. En France, il reste difficile de convaincre les bailleurs sociaux, en dépit des bénéfices pour les locataires, de s’engager dans des réhabilitations écologiques (l’Isère fait exception). Les réticences de la profession font écho aux positionnements nationaux tels que celui de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine. Pourtant, c’est peut-être au Val Fourré que le développement d’un quartier durable a le plus de sens. L’écologie peut être en effet un levier de « déstigmatisation » capable de restaurer une attractivité résidentielle à l’endroit où d'autres politiques ont échoué.

Enfin, les politiques de « participation » sont restées bien conventionnelles, en particulier en France, restreintes aux cadres prédéfinis par les pouvoirs publics. Quid de la reconnaissance des initiatives et des actions spontanément engagées par les habitants et associations, par les acteurs privés ? Quelle place pour l’engagement civil, les partenariats entre pouvoirs publics et société civile, la contractualisation avec les acteurs privés, permettant de mettre en mouvement une ville au-delà des cadres techniques qui sont censés la gérer ?

Ces pistes de réflexion ouvertes doivent permettre de prendre du recul par rapport aux entrées prioritairement développées par les villes en recherche de développement durable, qui sont indispensables mais qui négligent d’autres enjeux et effets de levier.