Climat d’Incertitude : Comment Naviguer ?

 

Prospective Technologique et Sociétale : La nouvelle donne

Les démarches de prospective (ou, en anglais, de foresight ou de futures studies) ont suscité, depuis les années 1990, un regain d'attention qui s’est opéré notamment dans les deux champs de la politique environnementale et de la politique technologique, rapprochés par la mise en œuvre des politiques de développement durable (Faucheux & Hue, 2001) . En effet, si les avancées technologiques, moteur de la compétitivité, vont se multiplier à une vitesse inconnue dans la première moitié du 21ème siècle (IPTS, 1999) , elles seront aussi de plus en plus porteuses de risques, notamment du point de vue de leurs effets environnementaux mais aussi en termes de leurs conséquences sur le plan socio-économique (mondialisation, précarité d’emploi, etc.). Il est devenu donc de plus en plus difficile de procéder à une évaluation univoque de la pertinence sociétale et environnementale des nouveaux systèmes technologiques.
Par ailleurs, les problèmes environnementaux se présentent de plus en plus à un niveau global et dans le long terme, tout en comportant des risques collectifs irréversibles (effets externes, santé publique, générations futures, etc.). Sur ces questions, les faits sont le plus souvent incertains, les enjeux sont élevés et la décision est urgente (Funtowicz et Ravetz, 1990, 1994) . Le décideur politique doit agir, avec le souci de concilier des préoccupations dans des contextes contrastés local, territorial et nationale, dans des conditions d’incertitude très forte, voire d’ignorance. L’environnement est désormais un sujet qui éveille de multiples conflits d’intérêts au sein des sociétés et entre elles (Faucheux & O’Connor, 1999 ; Roqueplo, 1988 ).
Face aux irréversibilités des risques collectifs environnementaux, la prévention s’impose, ce qui implique un engagement en amont de toute politique de choix technologique. Les adaptations ex post risquent de ne pas être possibles (sinon très coûteuses). La réponse idéale consisterait en une maîtrise du risque ex ante mais, dans la mesure où cette dernière n’est pas possible ou n’est pas effective, on est obligé d’affronter des avenirs ambigus, conflictuels. Les enjeux décisionnels se complexifient. Qui va souffrir du dommage et qui va être en mesure d’obtenir un bénéfice ? Les victimes potentielles (actuelles et futures) des dommages sont-elles en situation de pouvoir exprimer leurs préoccupations ? Les nuisances écologiques comme la dégradation des écosystèmes, les perturbations des cycles hydrologiques et atmosphériques, les substances toxiques sur les lieux de travail et dans l’environnement peuvent peser sur des populations très larges. Les « effets secondaires », souvent inattendus, n’émergeront dans de nombreux cas qu’après de longues périodes et sur de grandes distances. La question d’équité intertemporelle, au cœur de la notion de développement durable, se pose dès que les générations qui perçoivent les bénéfices ne sont pas les mêmes que celles qui subissent les coûts (Martinez-Alier & O’Connor, 1996 ; O’Connor & Martinez-Alier 1997 ).
Définition
Le terme risque environnemental peut se référer à la possibilité de toute sorte de changements dans l’environnement physique qui affectent de façon négative non seulement la vie humaine, la santé, les activités économiques et sociales mais aussi les conditions de vie d’autres êtres vivants. La restauration des écosystèmes endommagés ou altérés par l’activité économique ou la pollution peut être très coûteuse sinon impossible. C’est pourquoi les impacts nocifs, comme les émissions de gaz à effet de serre ou les contaminations par des déchets toxiques, sont caractérisés par des irréversibilités temporelles.
Les années 1990 ont ainsi apporté une accélération significative des activités de prospective dans de nombreux pays, mais dans des optiques parfois très différentes de ce qui se pratiquait dans le passé. Dans le nouveau contexte des risques environnementaux et de la diversité de revendications de la société civile, la science et la technologie ne sont pas toujours en mesure, à elles seules, de prendre la responsabilité pour désigner le « bon » ou le « meilleur » choix technologique. La qualité décisionnelle est alors à poursuivre en articulant l'expertise à la concertation des acteurs représentatifs de la « demande sociale ». Il s'agit (Callon 1998) de « réconcilier savoirs profanes et connaissances scientifiques pour permettre un véritable exercice de la démocratie technique ».