- La baisse des prix des produits agricoles n’est pas favorable au développement durable, dans le sens où, pour maintenir leurs revenus, les producteurs ont tendance à augmenter la productivité du facteur travail (plus de machines), tout en extensifiant sur des terres toujours plus grandes (concentration) ; les modes d’exploitation du milieu sont donc souvent plus polluants, plus couteux en énergie, conduisent à l’endettement, sont défavorables à l’emploi rural, favorisent la concentration des exploitations ; il devient difficile, dans de telles conditions, de parler sérieusement d’une contribution de l’agriculture au développement durable dans ses dimensions sociales, d’aménagement territorial, de gestion paysagère des zones rurales.
- Soucieux de réduire au maximum le risque en production (toujours le revenu), mais aussi pour assouvir des cahiers des charges de qualité toujours plus exigeants, les agriculteurs ont recours massivement à des intrants (chimiques ou organiques polluants –effluents bruts d’élevage hors sol-) et à l’irrigation ; ces pratiques ont des conséquences (externalités) environnementales considérables, sur la faune et la flore (biodiversité), sur l’eau (qualité des nappes), sur les sols (salinisation, érosion), qui constituent autant de biens communs dont la dégradation génère des couts exorbitants (mais souvent difficile à évaluer) pour l’ensemble des sociétés humaines.
Exemple
L’agriculture, la science, la société et développement durable : le cas des OGM
Le développement durable suppose de lier les échelles de temps et d’espace, d’associer le très court terme au très long terme, d’agir localement tout en raisonnant à l’échelle planétaire. Il impose donc une démarche pluridisciplinaire et multisectorielle. La question des organismes génétiquement modifiés (OGM) illustrent bien ces nécessités et suscitent débats et controverses.
Les OGM sont des organismes contenant un ou plusieurs gènes supplémentaires. Les manipulations sur les végétaux sont aujourd’hui communes, et ne concernent plus seulement le laboratoire, le champ cultivé, mais aussi la commercialisation et l’assiette du consommateur. Le sujet concerne de nombreux acteurs de la société : producteurs, scientifiques, politiques, consommateurs, citoyens, industriels, environnementalistes. Pour les uns, les OGM s’inscrivent parfaitement dans la démarche de développement durable. Pour les autres, les risques potentiels des OGM sont incompatibles avec cette démarche.
Avant de trancher, et comme le souligne Slim (2005), il faut bien reconnaître que le développement d’OGM franchit incontestablement une limite : il ne s’agit plus d’une sélection ou d’un hybridation traditionnelle, mais bien de manipulations du génome, impliquant souvent le mélange de matériel génétique d’espèces différentes, et l’ajout de gènes à une plante en vue de lui conférer des caractéristiques différentes.
Pour le consommateur, les avantages peuvent être des produits aux saveurs, aux couleurs nouvelles, de meilleure conservation, à la teneur en certains éléments (vitamines) améliorée. Pour les industries de transformation, les conditions de production sont meilleures. La production agricole est rendue plus efficace et moins risquée par l’introduction de résistances aux maladies et pestes, un désherbage facilité. Pourtant ces avantages apparaissent pondérés dés lors que l’on s’inscrit dans des échelles plus larges d’espace et de temps.
Ainsi, exposées à la réalité des champs cultivés, les gènes peuvent transiter vers d’autres plantes sauvages botaniquement proches (cas du colza et de la betterave). La transmission de résistances aux herbicides à des pestes végétales pourraient ainsi avoir des conséquences graves à terme sur la biodiversité. On risque également de contaminer d’autres cultures labélisées biologiques (non OGM). Les ravageurs à cycle rapide de reproduction rapide (insectes, virus, bactéries) s’adaptent en permanence aux pesticides. Il n’y a aucune raison que ces mécanismes de résistance et d’adaptation cessent avec les solutions génétiques. Par ailleurs, les plantes transgéniques n’impliquent pas l’arrêt de l’utilisation de pesticides. Les dégâts écologiques décrits ci-dessus sont par ailleurs souvent irréversibles.
Enfin, il faut compter aussi avec le risque sanitaire : l’impact de la consommation sur la santé humaine. Pour le moment, aucune toxicité aigue n’a été constatée chez l’homme. Mais les avis sont partagés sur une éventuelle toxicité chronique à long terme. L’argument de la barrière des espèces, voire des règnes, est balayée depuis la mise en évidence récente de certaines réactions cliniques observées chez la souris consommatrice d’amidon issu d’OGM.
Dans cette situation de doute, beaucoup de pays appliquent le principe de précaution, qui propose de prévenir, voire de s’abstenir maintenant, plutôt que d’avoir à guérir et remédier plus tard. Ce principe n’est pas universellement accepté, ce qui en réduit évidemment l’application efficace. Les tenants du libre-échange mondial estiment que ce n’est pas aux producteurs de prouver l’innocuité à long terme des OGM, mais aux consommateurs d’en démontrer les dangers. Certains scientifiques estiment que ce principe est un frein pénalisant la recherche et le progrès et donc le développement durable. Enfin, il est difficile pour un pays pauvre bénéficiant d’une aide alimentaire internationale de renoncer à des sacs de maïs transgénique.
Suivant strictement le principe de précaution, certains pays, comme l’Autriche ou le Malawi, interdisent purement et simplement la culture et l’importation d’OGM sur leur territoire, impliquant pour l’un des retards en recherche et en innovation, pour l’autre la persistance de sa crise alimentaire. La France a adopté une position plus flexible, autorisant le mais transgenique, sans risque de contamination inter-espèce (contrairement au colza par exemple).
OGM et développement durable ne sont donc pas incompatibles, à condition de poser certaines limites (principe de précaution), de s’imposer tous les contrôles et suivis nécessaires, et donc sans doute de maintenir une recherche active, transparente et responsable concernant les risques encourus. Une prise en compte des attentes citoyennes, et le respect du consommateur passent par une information complète (étiquetage des produits, transparence des résultats de recherche).
Les leçons des expériences désastreuses du sang contaminé, de la « vache folle », de l’hormone de croissance doivent être rappelées et retenues, par le monde politique, le monde scientifique et les citoyens.