Pourquoi l’agriculture doit-elle être durable ?

Comme le souligne Weber (2002)(2002) Enjeux économiques et sociaux du développement durable. In : Johannesburg 2002, Sommet Mondial du Développement Durable . Quels enjeux, quelles contributions des scientifiques, Ministère des Affaires Etrangères, ADPF, Paris, France, pp13-44., on conçoit aisément que les grandes dynamiques environnementales, comme le changement climatique, la disponibilité de la ressource en eau, la biodiversité, la désertification, aient des impacts négatifs sur le devenir des économies et des sociétés. « Moins évidente pour le public et pour les gouvernements est la globalité du désastre de la pauvreté et de ses conséquences actuelles et potentielles ; encore moins évidentes sont les interactions entre pauvreté, ressources renouvelables et environnement ».
C’est pourtant un élément essentiel à prendre en compte dans le cadre de ce cours, notamment si l’on sort du contexte « développé », pour aborder le problème de développement durable au Sud.
Nous avons vu comment l’humanité a cherché à maîtriser puis à s’affranchir des ressources naturelles par l’agriculture. A la prédation initiale (chasse, cueillette, pêche) a succédé l’artificialisation du milieu, jusqu’aux excès de la période récente. Il faut toutefois reconnaître que les excès de l’agriculture intensive, aussi dommageables soient-ils pour l’environnement, sont limités aux pays du Nord (voire à quelques localités de ces pays), et ont bien peu contribué directement à la dégradation générale des ressources renouvelables de la planète, dont les causes premières sont bien l’industrialisation et, dans une moindre mesure, l’urbanisation. Ce n’est donc pas sous l’angle des externalités négatives que l’on propose d’aborder le rôle de l’agriculture dans le développement durable (en tout cas pas essentiellement). Et comme le propose Whiteside (1998)(1998) Living farms. Encouraging sustainable smallholders in Southern Africa. EarthScan publisher, London, UK, 217p., il semble important de focaliser notre réflexion sur la durabilité de l’agriculture familiale, en développement.
L’agriculture, c’est à dire les modes d’exploitation du milieu terrestre à des fins de production primaire végétale ou animale , ne saurait être tenue pour responsable sérieux de ses dégradations au plan mondial, ni de l’impérative nécessité de revisiter nos relations à la nature. Mais elle pourrait bien continuer à être, pour quelques milliards d’individus, la seule voie réaliste, immédiate, pour survivre, en fournissant de la nourriture et des revenus monétaires. Comme l’affirme Mazoyer et Roudart (1997)(1997). Histoire des agricultures du monde. Du néolithique à la crise contemporaine. Editions du Seuil, collection Points Histoire, Paris, France, 705p, « il n’y a pas d’autres voies que de continuer à cultiver la planète pour y multiplier les plantes et les animaux domestiques, tout en maîtrisant la faune et la végétation sauvages ».
Uphoff (2002)(2002) The agricultural development challenges we face. In : Agroecological innovations : increasing food production with participatory development (Uphoff, N. editor), Earthscan, London, UK, pp3-20. nous rappelle le challenge immense qui se dresse à l’humanité, et plus particulièrement à sa composante rurale, productrice d’aliments : pour éradiquer l’insécurité alimentaire mondiale et satisfaire les marchés d’ici à 2050, il faudra au moins doubler la quantité de nourriture produite, et cela avec une réduction d’environ un tiers des terres actuellement allouées à l’agriculture (par habitant), et une réduction sans doute aussi drastique de la part ressource en eau allouée à l’agriculture.
L’agriculture doit surtout augmenter sa productivité par un usage plus intensif des ressources renouvelables. Le challenge est donc multiple : intensifier et utiliser mieux les ressources en terre et en eau, respecter ces ressources et les préserver pour le futur, et produire plus en quantité et en qualité. Durant la révolution verte et les 30 glorieuses, de fortes augmentations de production et de productivité ont été réalisées. Mais, comme nous l’avons vu, cela s’est fait généralement au détriment des ressources naturelles, des équilibres territoriaux et sociaux, et dernièrement, de la qualité des produits. Et les progrès réalisés n’ont touché que les pays industrialisés et quelques niches limitées au Sud.
Alors qu’en France le nombre des exploitations agricoles a diminué de 3% par an en moyenne de 1995 à 2000, et de 2.3% par an depuis (phénomène de concentration), l’agriculture du Sud reste de loin le principal moyen de se nourrir et de lutter contre la pauvreté (Mazoyer & Roudart, op. cit.)(1997). Histoire des agricultures du monde. Du néolithique à la crise contemporaine. Editions du Seuil, collection Points Histoire, Paris, France, 705p. Par ailleurs, Hervieu (2002)(2002) Sustainable development : a necessity to feed the world ? In : Dossier de l’Environnement de l’INRA, n°22 : 9-21. démontre pourquoi la solution d’un monde nourri par un petit nombre d’agriculteurs du Nord n’est pas durable, aux plans environnementaux et territoriaux, comme aux plans économiques, sociaux et politiques (même si la globalisation et la libéralisation à sens unique des échanges semblent nous y conduire).
En elle-même, l’agriculture, surtout dans ses formes les plus traditionnelles, est une activité durable, dans le sens où, depuis 10 000 ans, elle persiste et s’adapte. Il est ainsi important de souligner la durabilité exemplaire de nombres de systèmes de production dits traditionnels, ayant traversé les siècles, les événements climatiques, les chocs, tendances et saisonnalités de toutes sortes, ayant appris à anticiper et à gérer le risque (Eldin & Milleville, 1989)(1989) Le risque en agriculture. Orstom Editions, collection A travers champs, Paris, France, 619p.. Plus largement, il convient de souligner les capacités innovantes des sociétés rurales et agricoles, sur les plans techniques, mais aussi économiques, culturels et institutionnels (Dupré, 1991(éditeur) (1991) Savoirs paysans et développement. Editions Karthala – Orstom, Paris, France, 526p.).
Toutefois, comme nous l’avons vu plus haut, ces innovations « endogènes » ne sont pas toujours suffisantes, et les capacités d’innovation autonome des acteurs locaux sont rendus caduques, inefficaces, voire nuisibles, dès lors que des changements plus rapides, moins contrôlables ou moins prévisibles interviennent. La durabilité est menacée. D’où la possible contribution des scientifiques, et la conception d’alternatives techniques, économiques, managériales, institutionnelles ou organisationnelles.
Cet élément est certainement très important dans une perspective de durabilité des systèmes techniques. Mais comme le souligne Godard & Hubert (2002)(2002) Le développement durable et la recherche scientifique à l’INRA. Rapport à la Direction de l’INRA, rapport intermédiaire, décembre 2002, 44p., l’agriculture est interrogée non seulement sur ce qui touche à sa propre durabilité, dont elle a su trouver les voies depuis des millénaires, mais aussi pour ses relations avec les sociétés, et leur environnement. Nous avons vu par ailleurs que le seul développement technologique n’apporte pas toutes les réponses à la complexité du développement des sociétés humaines.
Dans une perspective de développement durable, notamment au Sud, l’agriculture (et sa durabilité) est donc un élément incontournable, essentiel, d’abord parce qu’il constitue un lien fonctionnel, à la fois culturel, économique, technique et institutionnel, entre nature et sociétés humaines, ensuite parce que la vie (la survie) de millions de ruraux dépend toujours et dépendra encore longtemps de l’exploitation du milieu terrestre à des fins de production primaire végétale ou animale.
 
Référence bibliographique

Weber, J. - (2002) Enjeux économiques et sociaux du développement durable. In : Johannesburg 2002, Sommet Mondial du Développement Durable . Quels enjeux, quelles contributions des scientifiques, Ministère des Affaires Etrangères, ADPF, Paris, France, pp13-44.

Référence bibliographique

Whiteside, M. - (1998) Living farms. Encouraging sustainable smallholders in Southern Africa. EarthScan publisher, London, UK, 217p.

Définition

Traduction de l’anglais Smallholder agriculture

Définition

Le Larousse agricole (édition 1991) propose : Ensemble des travaux visant à utiliser et à transformer le milieu naturel pour la production de végétaux et d’animaux utiles a l’homme.

Référence bibliographique

Mazoyer, M. & Roudart, L. - (1997). Histoire des agricultures du monde. Du néolithique à la crise contemporaine. Editions du Seuil, collection Points Histoire, Paris, France, 705p

Référence bibliographique

Uphoff, N. - (2002) The agricultural development challenges we face. In : Agroecological innovations : increasing food production with participatory development (Uphoff, N. editor), Earthscan, London, UK, pp3-20.

Référence bibliographique

Mazoyer, M. & Roudart, L. - (1997). Histoire des agricultures du monde. Du néolithique à la crise contemporaine. Editions du Seuil, collection Points Histoire, Paris, France, 705p

Référence bibliographique

Hervieu, B - (2002) Sustainable development : a necessity to feed the world ? In : Dossier de l’Environnement de l’INRA, n°22 : 9-21.

Référence bibliographique

Eldin, M. & Milleville, P - (1989) Le risque en agriculture. Orstom Editions, collection A travers champs, Paris, France, 619p.

Référence bibliographique

Dupré, G - (éditeur) (1991) Savoirs paysans et développement. Editions Karthala – Orstom, Paris, France, 526p.

Référence bibliographique

Godard, O. & Hubert, B - (2002) Le développement durable et la recherche scientifique à l’INRA. Rapport à la Direction de l’INRA, rapport intermédiaire, décembre 2002, 44p.