Les sociétés évoluent. L’émergence de nouvelles questions agricoles.

La seconde période de l’agriculture, qui débute dans les années 1960-70, correspond à l’émergence de questions sur le modèle dominant. C’est le début de la seconde révolution agricole (Mazoyer & Roudart, 1997)(1997). Histoire des agricultures du monde. Du néolithique à la crise contemporaine. Editions du Seuil, collection Points Histoire, Paris, France, 705p. On peut dire que le paradigme productiviste apparaît de moins en moins adapté, d’abord parce qu’à coté de succès indéniables, il enregistre également des échecs, mais également parce que les sociétés dans lesquelles ce modèle est appliqué changent, ainsi que leurs besoins, leurs aspirations et, finalement, leurs valeurs et leurs projets. L’émergence de nouveaux paradigmes va profondément modifier les sociétés, le monde de la recherche, et l’agriculture.
L’occurrence de surproductions dans les pays du Nord ne peut pas être attribué directement à la posture du secteur agricole, de sa recherche et de ses politiques, mais n’en questionne pas moins les ambitions (Mazoyer & Roudart, op. cit. (1997). Histoire des agricultures du monde. Du néolithique à la crise contemporaine. Editions du Seuil, collection Points Histoire, Paris, France, 705p). A partir des années 1980, l’augmentation de la productivité agricole n’est généralement plus un objectif prioritaire. On se tourne vers les industries de transformation, et plus généralement vers un pilotage par l’aval de la production agricole : la grande distribution devient le canal quasi exclusif de l’écoulement des produits, et dicte ses exigences en termes de qualité, de diversité, et de quantité.
Ce pilotage par l’aval déplace les préoccupations des opérateurs, de problématiques liées à la production vers des problématiques liées à la gestion de la production, puis à la gestion des produits, en intégrant les filières jusqu’à la distribution, voire la consommation, sur des questions logistiques, institutionnelles, économiques et socio-économiques.
Les consommateurs s’expriment, et leurs préférences changent. Cela ne concerne pas seulement les produits agricoles et leur qualité, mais également la façon dont ils sont produits. Des inquiétudes et une conscience collective émergent autour de questions sanitaires, environnementales et sociales (la question du commerce équitable, des conditions sociales de production dans les pays du Sud ).
L’agriculture n’est plus un secteur bien délimité, qui ne concernerait que les producteurs eux-mêmes, mais bien une affaire de société. L’industrie, les consommateurs, les environnementalistes expriment leurs exigences et leurs préoccupations au secteur agricole, les interactions se multiplient ( voir encadré 2 avec le cas des OGM comme illustration ).
Les succès de l’agriculture dans les pays développés sont ceux d’un seul type d’agriculture, celle qui a pu atteindre des niveaux de production très hauts, par l’augmentation de productivité des facteurs terre et travail, l’accumulation de capital (et l’endettement), la spécialisation (et l’augmentation des risques), l’utilisation massive d’intrants chimiques (à leur seuil de rentabilité économique, mais souvent au-delà de leur seuil de nuisance environnementale). Cette agriculture nourrit largement les populations et contribue à la puissance économique des pays, mais un tri drastique s’est opéré, et l’agriculture ne concerne plus qu’une très faible proportion de la population active, largement supportée par des politiques (en Europe comme aux Etats-Unis) très favorables mais de moins en moins défendables au plan éthique et économique international, tant elles nuisent aux producteurs des pays du Sud.
Contrairement aux espérances de la fin du XIXe siècle, les progrès de l’agriculture n’ont pas enrayé l’exode rural. En fait, le secteur agricole a bien joué son rôle historique de facteur de passage vers des sociétés développées, mais surtout industrielles et urbanisées (De Rosnay, 1975(1975) Le macroscope. Vers une vision globale. Editions du Seuil, Points, Paris, France, 305p). A coté de la désertification des campagnes, une des conséquences de cette sélection est l’accroissement des inégalités régionales à l’échelle des pays. A l’heure des politiques de décentralisation dans toute l’Europe, la question du développement rural se pose (Van der Ploeg et al., 2002(2002) Living countrysides. Rural development processes in Europe: the state of the art. Elsevier Publisher, Doetinchem, The Netherlands, 231p.).
Parallèlement, dans les pays du Sud, se développe une forte remise en cause du modèle de développement fondé sur les paradigmes, la recherche et la vulgarisation agricoles importés du Nord. L’écart de développement se creuse toujours plus entre pays développés et pays du Sud. La révolution verte n’a pas eu lieu, en tout cas pas avec l’ampleur et l’extension espérées. (Mettrick, 1993 (1993) Development oriented research in agriculture. An ICRA textbook. ICRA, Wageningen, The; Mazoyer & Roudart, op. cit. (1997). Histoire des agricultures du monde. Du néolithique à la crise contemporaine. Editions du Seuil, collection Points Histoire, Paris, France, 705p).
On commence à réaliser que malgré une production globale de nourriture théoriquement suffisante pour chaque habitant de la planète, famines et effets de la malnutrition restent courantes dans beaucoup de pays du Sud. A partir des années 1970-80, la révolution des moyens de communication et d’information permet l’affichage quotidien, partout, des images des inégalités alimentaires et de niveau de vie. Les désastres naturels, les conflits sont des causes importantes de pauvreté et de famine, et s’étalent sur les écrans de télévision du Nord. La fin du siècle est également marquée par les premières grandes catastrophes industrielles, également médiatisées (les effets des pollutions au mercure, Bhopal, Seveso, puis Tchernobyl, entre autres). Tout cela contribue sans aucun doute à l’évolution de paradigme des sociétés occidentales .
Au coté de ces éléments sociaux et économiques, émergent des préoccupations liées à l’environnement. C’est au début des années 1970 que des changements vont s’opérer tant dans la prise de conscience que dans les débats relatifs aux questions d’environnement. En 1972, le rapport Meadows ("The limits to growth", publié par le Club de Rome) fait sensation en introduisant un raisonnement basé sur le couplage développement / environnement, en soulignant que l’avenir de la planète et de l’espèce humaine est menacé par le maintien du rythme de croissance économique et démographique, en suggérant la croissance zéro. Des prévisions cauchemardesques décrivent une planète non habitable dans le futur, en raison des pollutions générées par l’expansion industrielle au Nord, auxquelles s’ajoutent les pronostics d’explosion démographique au Sud (Aknin et al., 2002(2002) Environnement et développement. Quelques réflexions autour du concept de développement durable. In : Développement durable. Doctrines, pratiques, évaluations. IRD Editions, Paris, France, pp51-71 ; Camerini, op. cit. (2003) Les fondements épistémologiques du développement durable. Entre physique, philosophie et éthique. Editions L’Harmattan, Paris, France, 139p.).
Toujours en 1972, la conférence des Nations Unis sur l’environnement humain, à Stockholm, est un événement car elle réunit pour la première fois 113 pays, en un forum réunissant pays développés, pays en développement, pays communistes. Même si les retombées immédiates en seront très faibles, et que la crise pétrolière des années 1970 va éclipser pour une décade ces soucis émergeants (Aknin et al., op. cit. (2002) Environnement et développement. Quelques réflexions autour du concept de développement durable. In : Développement durable. Doctrines, pratiques, évaluations. IRD Editions, Paris, France, pp51-71), la prise de conscience planétaire prend racine, et se cessera de s’accroître.
La persistance des famines et de la malnutrition sont imputables à plusieurs facteurs : conflits armés, systèmes de distribution défaillants, inégale répartition des moyens de production et donc différentiels de productivité (Mazoyer et Roudart, op. cit. (1997). Histoire des agricultures du monde. Du néolithique à la crise contemporaine. Editions du Seuil, collection Points Histoire, Paris, France, 705p). D’autres problèmes, certes moins immédiatement dramatiques, ne contribuent pas moins à questionner les fondements et les pratiques de l’agriculture productiviste : l’environnement menacé, l’équité bafouée, les zones rurales délaissées, les filières du Nord en excédent de production mais en crise de qualité et d’institutions, la production stagnante, voire en décroissance au Sud, etc. Dans ce contexte, les solutions techniques ne sont pas suffisantes, voire sont inutiles.
Même si l’industrie et le mode de développement des pays du Nord sont les premiers suspects qui suscitent ces prises de conscience, l’agriculture et ses propres modèles commencent également à être remis en cause.
On le voit, les décennies 1960 à 80 sont riches en changements de paradigme, en prises de conscience sur les sujets de l’équité, des modèles de développement, de l’environnement, du sens même donné à la production et à l’activité agricole. L’ensemble de ces éléments, et pas seulement l’émergence de réflexion sur la relation environnement / développement, constitue sans aucun doute le ferment qui aboutira à la formulation explicite du concept-projet de développement durable.
 
Référence bibliographique

Mazoyer, M. & Roudart, L. - (1997). Histoire des agricultures du monde. Du néolithique à la crise contemporaine. Editions du Seuil, collection Points Histoire, Paris, France, 705p

Référence bibliographique

Mazoyer, M. & Roudart, L. - (1997). Histoire des agricultures du monde. Du néolithique à la crise contemporaine. Editions du Seuil, collection Points Histoire, Paris, France, 705p

Référence bibliographique

De Rosnay, J - (1975) Le macroscope. Vers une vision globale. Editions du Seuil, Points, Paris, France, 305p

Référence bibliographique

Van der Ploeg, J.D., Long, A. & Banks, J. - (2002) Living countrysides. Rural development processes in Europe: the state of the art. Elsevier Publisher, Doetinchem, The Netherlands, 231p.

Référence bibliographique

Mettrick, H - (1993) Development oriented research in agriculture. An ICRA textbook. ICRA, Wageningen, The

Référence bibliographique

Mazoyer, M. & Roudart, L. - (1997). Histoire des agricultures du monde. Du néolithique à la crise contemporaine. Editions du Seuil, collection Points Histoire, Paris, France, 705p

Définition

« Halte à la croissance ! » pour sa traduction française

Référence bibliographique

Aknin, A., Géromini, V., Schembri, P., Froger, G. & Méral, P. - (2002) Environnement et développement. Quelques réflexions autour du concept de développement durable. In : Développement durable. Doctrines, pratiques, évaluations. IRD Editions, Paris, France, pp51-71

Référence bibliographique

Camerini, C - (2003) Les fondements épistémologiques du développement durable. Entre physique, philosophie et éthique. Editions L’Harmattan, Paris, France, 139p.

Référence bibliographique

Aknin, A., Géromini, V., Schembri, P., Froger, G. & Méral, P. - (2002) Environnement et développement. Quelques réflexions autour du concept de développement durable. In : Développement durable. Doctrines, pratiques, évaluations. IRD Editions, Paris, France, pp51-71

Référence bibliographique

Mazoyer, M. & Roudart, L. - (1997). Histoire des agricultures du monde. Du néolithique à la crise contemporaine. Editions du Seuil, collection Points Histoire, Paris, France, 705p