Vers une « prospective concertative »

Les deux types de prospective peuvent parfois être menés de façon complémentaire, à condition que le deuxième prévale sur le premier. Ainsi, s’il s’agit d’orienter les politiques en vue d’une amélioration de l’environnement, on peut, par le biais d’une prospective de la seconde catégorie, anticiper les exigences ou valeurs émergentes de la société en cette matière et voir quels types de changements scientifiques et techniques permettent d’y parvenir. Ensuite, parmi ces changements, on peut sélectionner, par une prospective de la première catégorie, les politiques pour lesquelles le gouvernement dispose d’un plus grand avantage comparatif et qui seront susceptibles d’offrir le plus grand nombre d’innovations valorisables en termes de dépôt de brevets, par exemple. De ce point de vue les “foresight technologiques” et les “foresights sociaux” apparaissent comme deux grandes catégories de prospective complémentaires puisque susceptibles d’éclairer des questionnements différents.
Toutefois, on assiste à l’émergence de la « prospective concertative » consistant à étendre à la fois les procédures d’expertise collective et l’intégration des experts scientifiques et techniques dans de nouvelles procédures de concertation ouvertes sur la demande sociale et qui nourrissent la capacité sociétale. Cette évolution participe au mouvement plus général de « gouvernance concertative » face aux enjeux de risque, de l’environnement et plus largement de développement durable.
La spécificité de la dimension concertative est de mettre en œuvre les mécanismes de dialogue dans la recherche collective pour des futurs originaux (parfois inattendus) et pour définir, soit le domaine des choix acceptables, soit (lorsque cela est possible) les choix faisant l’objet d’un consensus fondé dans le principe du respect des divergences de valeurs et du besoin de coexistence. Elle s’attache également « à rendre visibles les conflits d’intérêt en présence et à rendre intelligibles les ajustements qui ont été opérés entre eux » (Lascoumes, 1998) . Ainsi, le processus de construction et de mise en œuvre de l’exercice de prospective devient aussi important que ses résultats. « Le ‘comment’ importe autant que le ‘quoi’ » (Bailly, 1998) car, la motivation des acteurs va très fort dépendre de leur relation (d’aliénation ou d’implication, etc.) avec l’exercice.
La démarche de concertation renvoie à l'idée que différents groupes d’acteurs, avec leurs diverses expériences de la vie, peuvent, tous ensemble, apporter une plus grande sagesse au processus de résolution de problèmes caractérisés par des risques et des irréversibilités liés au choix technologique. Ainsi, l'utilisation de processus multicritères, délibératifs et participatifs s'est-elle développée en Europe et ailleurs, dans le but de s’assurer de la qualité tant scientifique et technique que politique des processus de résolution des problèmes comportant des enjeux élevés et de fortes incertitudes.
Si les procédures d'articulation «collective» des valeurs n'excluent pas l'utilisation de techniques d'évaluation analytiques fondées sur les approches classiques comme l’analyse probabiliste, l’analyse risque-bénéfice, ou encore le principe ALARA (As Low as Reasonably Achievable), elles impliquent toutefois que diverses formes de mesures et de principes de justification puissent être appliquées. Les processus discursifs et délibératifs permettent d'évaluer la pertinence des informations fournies par l'expertise et d’examiner des questions relatives aux valeurs sous-jacentes qui divisent ou unissent les communautés de lieux ou d'intérêts. Prendre en compte ensemble les considérations scientifiques, sociales et économiques en temps réel, comme une sorte de processus d'apprentissage social collectif, fournit une base tant pour gouverner dans les situations d'incertitude et de conflit que pour déterminer les actions prioritaires.
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« PROSPECTIVE CONCERTATIVE »

Jean Simos (1990) a donné une documentation détaillée sur la façon dont une négociation multilatérale associée à des analyses multicritères scientifiques et économiques peut constituer un moyen efficace pour obtenir une «gestion intégrée» d'options de développement, dans le domaine de la politique de traitement des déchets solides de Genève et dans celui de l'évaluation des impacts environnementaux d'extensions autoroutières.